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du temps des lunes des centièmes de seconde
par Jean-Pierre Vorlet

Du temps, des lunes, des centièmes de seconde, il en aura fallu pour entr’ouvrir les portes de l’œuvre photographique noir et blanc de Pierre Izard. Si l’homme avait l’approche facile, le ton convivial, le travail d’auteur lui, en revanche, se laissait moins facilement cerner. Bien sûr, les reportages qui bénéficiaient de l’actualité et qui ont couru sur près de sept décennies portant la marque d’une durée exceptionnelle, dans une presse avide de publication, invitaient à un regard au premier degré qui enchantait les lecteurs. Les pleines pages en couverture aux tons bleus ou sépia tapaient dans le mille avant l’offensive de la couleur. Il y avait cette franchise du regard, ce droit au but qui étaient en quelque sorte la signature du photographe. Les sujets d’Izard dans les rédactions se reconnaissaient entre cent. Une patte, un coup d’œil, un humour parfois suffisaient à le démasquer. Mais avec le recul le document se charge, prend les rides de l’histoire, oublie un peu l’événement, laisse parler un peu la forme avant le fond. Et là apparaît la rigueur presque millimétrique du cadrage qu’il apprit à maîtriser avec la carte postale. Avec le soin de dégager l’essentiel dans ce qui est pris. En revanche, il n’est pas trop regardant sur les différents plans. Du premier au dernier, il ne s’embarrasse pas. Cela fait partie de l’image. Il ne tient pas à tout isoler, à trop se rapprocher. Il a la pudeur des sujets, une manière de se tenir juste à distance pour mieux prévoir. Sa famille vient d’un petit village, Mérial, dans l’Aude en France. D’où un patronyme d’origine pyrénéenne qui désigne dans le parler régional le chamois. Il en a le côté bondissant et dévaleur de pentes quand il le faut. Il est un arpenteur aux semelles des villes et des campagnes qu’il parcourt inlassablement. Il est doté d’une insatiable curiosité. Cette présence permanente sur le terrain explique en partie la diversité et la richesse des thèmes traités. Il est en inventaire constant sur tout ce qui passe. Les petits métiers qui disparaissent, les paysages qui changent, les monuments qui surgissent, la motorisation qui gagne du terrain, les embarras de circulation, le bâti et le construit qui gagnent en vastitude. Lui qui ne songeait qu’à l’image, le voilà collé aux textes, à faire des lignes, à légender pour les journaux et les magazines. Ainsi tout son fonds d’images trouve une résonnance, une date, une explication, une raison d’exister par l’écriture. Il n’a pas la plume facile, mais la contrainte du temps lui donne des ailes et des idées. Et il y a la recherche des informations. C’est le temps d’avant la machine à photocopier et son apprentissage de bureau à la Banque Galland lui a appris à reporter des colonnes de chiffres, à copier des lettres. Il est habile et rapide dans ces actes de prises de notes. Il devient un enquêteur hors pair. Il est doté d’une formidable mémoire. Il a ses repères et ses sources, ses informateurs, son réseau de correspondants, de signaleurs. On l’alerte à l’événement, connaissant ses attentes. Il est à pied d’œuvre avant tout le monde. Il est une agence de presse modèle à lui tout seul. Et il se montre intraitable sur la question des droits d’auteur. Dès ses débuts dans les années trente, il est sur tous les fronts. Enumérons quelques sujets publiés de 1928 à 1934, à côté de son métier de photographe ambulant, de cartes postales aux Editions Perrochet qui lui assurent son fixe. Il photographie l’échouage puis le renflouage de l’hydravion Evian-Lausanne, remorqué par le chaland La Venoge, dont la chute a causé trois morts, un deuxième hydravion, celui du major Cagna, en escale celui-là, après un raid en Islande, la revue des pompiers suisses à Paris, une collision entre un camion et un tramway à l’avenue de la Gare, la construction de la Tour Bel-Air Métropole qu’il montre en rivale de la cathédrale, une scène de dépannage dans la neige au Chalet-à-Gobet qu’il intitule La revanche du cheval, ce dernier tractant une automobile, l’incendie de la rue Saint-Martin, un attelage d’ânes dans les rues de Chiasso, un cycliste tenant à la corde une vache sur la route d’Echallens, un match de water-polo entre le Cercle des nageurs de Lausanne et le club allemand de Augsburg, l’agrandissement du Comptoir Suisse, les ballons militaires appelés « saucisses » en exercice de ballons captifs, un éboulement sur la colline de Montoie, la fête populaire de « La Nana » à Ouchy, la disparition de tout un côté de la rue du Rocher, l’une des premières courses de motos de « Dirt-Track »
– sport en provenance d’Australie – avec ses spectaculaires dérapages sur la piste recouverte de cendres du terrain du Lausanne-Sports, le déblaiement de la neige sur la ligne Caux–Les Rochers-de-Naye, la Bourse de Paris avec ses agents sur les escaliers nommés « Les pieds humides », Le Trocadéro vu de la Tour Eiffel, la démolition d’un quartier de la rue du Pré, quelques élégantes sur la mer de glace au-dessus de Chamonix, la démolition du marché de la Grenette à la Riponne, un établissement de pisciculture et les fameuses truites de Marly-le-Grand, le 2e critérium national des vendeurs de journaux, les travaux de la première Dixence, la fête du Bois, Marseille et ses loups de mer, la construction du gazomètre à Malley, le port de Cannes, Ouchy et son port des sables, les vanniers au coin du bois, la consolidation et l’élargissement du Grand-Pont, le marché aux cerises place de la Riponne. Et à ce rythme effréné, les reportages de Pierre Izard des petits aux grands événements vont s’exercer sur près de sept décennies. Avec force dans le fond comme dans la forme. Voilà l’homme sur le terrain, dans son labo, et le soir, il devient pianiste, dirige une formation de six musiciens,
« The Happy Boys » et rythme les nuits lausannoises jusqu’à l’aube. La voie est tracée et il ne s’en écartera plus. En fouillant dans la mémoire des photographes du XXe siècle, on est tenté de rapprocher sa photo du nageur prise en 1943, figure parfaite, les bras arqués, le dos cintré, à peine un frémissement de l’eau par le battement des pieds joints, de la célèbre image du nageur d’André Kertész réalisée, elle, en 1917. Si une génération sépare le photographe hongrois de Pierre Izard, une même veine d’inspiration les réunit. Dans les parallèles, mais en Suisse cette fois, on le sent proche dans quelques-uns de ses reportages des photographes alémaniques tels Hans Baumgartner, Gotthard Schuh, Paul Senn ou Hans Staub. Si on élargit le cercle de la grande famille des illustrateurs, on se surprend parfois à lui trouver les traits d’humour d’un Jacques-Henri Lartigue, la malice d’un Robert Doisneau ou la tendresse de regard auprès des enfants d’un Edouard Boubat. Il colle à son siècle avec sa passion des voitures, des récentes autoroutes, des nouvelles constructions, des machines volantes, des rites, des fêtes, des processions du quotidien sous toutes ses formes.

Rien n’arrête ce regard qui a prise sur tout et qui en témoigne avec le trait juste.
Il a un peu cette vision de Cendrars dans Bourlinguer.


La Vie. La Mort. C’est tout comme. Equivalence. Equipollence. Un tour vertigineux. Je suis,
tu es, il est … Nous sommes ! Un tour d’Horizon.

Blaise Cendrars